Les Cahiers de l’Anarchosyndicalisme

Editions électroniques de la CNT-AIT

anticopyright ©Confédération Nationale du Travail, section francaise de l’Association Internationale des Travailleurs – novembre 2007



Cahier n°1

Textes fondateurs

dimanche 11 novembre 2007, par Electron libre

Toutes les versions de cet article :

  • français

En 1922, a Berlin, des militants anarcho-syndicalistes refondent l’AIT (Association Internationale des Travailleurs, ou Première Internationale), à laquelle adhère, dès sa création en 1926, la CGT-SR (Confédération Générale du Travail—Syndicaliste Révolutionnaire), qui se dissoudra en 1939. Après la seconde guerre mondiale, les militants de l’ancienne CGT-SR recréent leur organisation, qu’ils nomment CNT, en hommage a sa consÅ“ur espagnole. Cette brochure présente les textes adoptés par ces organisations lors de leur constitution, ainsi qu’un texte de synthèse de Pierre Besnard, alors secrétaire de l’AIT, sur les rapports entre anarchosyndicalisme et anarchisme.


 La Charte du Syndicalisme Révolutionnaire

adoptée au Congrès constitutif de la C.N.T - Décembre 1946

En présence de l’instabilité politique et financière de l’Etat français, qui peut à tout instant provoquer une crise de régime et, par conséquent, poser la question d’un ordre social nouveau par les voies révolutionnaires,

Le Congrès, en même temps qu’il se refuse à donner au capitalisme le moyen de se rééquilibrer, déclare que le syndicalisme doit tirer de cette situation catastrophique le maximum de résultats pour l’affranchissement des travailleurs.

En conséquence, il affirme que les efforts du prolétariat doivent tendre, non seulement à renverser le régime actuel, mais encore à rendre impossible la prise du pouvoir et son exercice par tous les partis politiques qui s’en disputent déjà âprement la possession.

C’est ainsi que le syndicalisme doit savoir profiter de toutes les tentatives faites par les partis pour s’emparer du pouvoir, pour jouer lui-même son rôle décisif qui consiste à détruire ce pouvoir et à lui substituer un ordre social reposant sur l’organisation de la production, de l’échange et de la répartition dont le fonctionnement sera assuré par le jeu des rouages syndicaux à tous les degrés.

En proclamant le sens profondément économique de la révolution prochaine, le Congrès tient à préciser essentiellement qu’elle doit revêtir un caractère de radicale transformation sociale devenue indispensable et reconnue inévitable aussi bien par le capitalisme que par le prolétariat.

Ce caractère ne peut lui être imprimé sur le plan de classe des travailleurs que par le prolétariat organisé dans les syndicats, en dehors de toute autre direction extérieure, qui ne peut que lui être néfaste.

C’est seulement à cette condition que les soubresauts révolutionnaires des peuples, jusqu’ici utilisés et dirigés par les partis politiques, permettront enfin d’apporter un changement notable dans l’ordre économique et social, ainsi que l’exige le développement des sociétés modernes.

En considération de ce qui précède, le Congrès déclare que les évènements prochains, en se déroulant dans l’ordre économique, vont poser les nouvelles conditions de vie des peuples et fixer avec une force grandissante et insoupçonnée les véritables caractères de la vie sociale. Cette vie sera l’oeuvre des forces productrices et créatrices, associant harmonieusement les efforts des manoeuvres, des techniciens et des savants, orientés constamment vers le progrès.

Ainsi se précisent logiquement les caractères de la transformation nécessaire.

Reprenant les termes de cette partie de la résolution d’Amiens qui déclare que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale,

Le Congrès affirme que le syndicalisme, expression naturelle et concrète du mouvement des producteurs, contient à l’état latent et organique toutes les activités d’exécution et de direction capables d’assurer la vie nouvelle. Il lui appartient donc, dès maintenant, de rassembler sur un plan uniquement d’organisation toutes les forces de la main-d’oeuvre, de la technique et de la science, agissant séparément, en ordre dispersé, dans l’industrie et aux champs.

En réunissant, dès que possible, dans un même organisme toutes les forces qui concourent à assurer la vie sociale, le syndicalisme sera en mesure, dès le commencement de la révolution, de prendre en main, par tous ses organes, la direction de la production et l’administration de la vie sociale.

Comprenant toute la grandeur et toute la difficulté de ce devoir, le Congrès tient à affirmer que le syndicalisme doit, dès maintenant, remanier son organisation, compléter ses organes, les adapter aux nécessités - comme le capitalisme lui-même - et se préparer à agir, demain, en administrateur et en gestionnaire éclairé de la production, de la répartition et de l’échange.

Il ne méconnaît pas l’extrême complexité des problèmes qui seront posés par la disparition du capitalisme. Aussi, il n’hésite pas à déclarer que le mouvement des travailleurs, qui ne recèle pas encore toutes les forces nécessaires à la vie sociale de demain, doit faire la preuve de son intelligence et de sa souplesse en appelant à lui tous les individus, toutes les activités qui, par leurs fonctions, leur savoir, leurs connaissances, ont leur place naturelle dans son sein et seront indispensables pour assurer la vie nouvelle à tous les échelons de la production.

N’ignorant pas les changements profonds qui sont survenus dans le domaine de la science et de la technique, que ce soit dans l’industrie ou dans l’agriculture, le Congrès, préoccupé des transformations nécessaires, n’hésite pas à faire appel aux savants et aux techniciens.

De même, il s’adresse aux paysans, pour assurer conjointement avec leurs frères ouvriers la vie et la défense de la révolution qui ne saurait s’effectuer sans leur concours éclairé, constant et complet. Le Congrès pense qu’ainsi se scellera, par un effort concordant, harmonieux et fécond, qui les rassemblera tous pour une même tâche de libération humaine, l’union des travailleurs de la pensée et des bras, de l’industrie et des champs.

N’ayant pour unique ambition que d’être les pionniers hardis d’une transformation sociale dont les agents d’exécution et de direction oeuvreront sur le plan du syndicalisme, les syndicalistes désirent que leur mouvement, vivant reflet des aspirations et des besoins matériels et moraux de l’individu, devienne la véritable synthèse d’un mécanisme social déjà en voie de constitution où tous trouveront les conditions organiques, idéalistes et humaines de la révolution prochaine, désirée par tous les travailleurs.

Demain doit être aux producteurs, groupés ou associés, en vertu de leurs fonctions économiques. L’organisation politique et sociale surgira de leur sein. Elle portera en elle-même tous les facteurs de réalisation, organisation, cohésion, impulsion et action.

De cette façon se dressera en face du citoyen : entité fuyante, instable et artificielle, le travailleur : réalité vivante, support logique et moteur naturel des sociétés humaines.

 Le syndicalisme dans le cadre national

a) SON ACTION GÉNÉRALE - La Confédération Nationale du Travail affirme, dès sa constitution, qu’elle entend être exclusivement un groupement de classe : celui des travailleurs. Elle doit donc, en plein accord sur ce point avec la Charte d’Amiens, mener la lutte sur le terrain économique et social.

Véritable organisme de défense et de lutte de classes, elle est, en dehors de tous les partis et en opposition avec ceux-ci, la force active qui doit permettre à tous les travailleurs de défendre leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux. S’inspirant de la situation présente, elle déclare vouloir préparer sans délai les cadres complets de la vie sociale et économique de demain, dont elle tient à examiner tout de suite les caractères possibles et le fonctionnement général.

Au capitalisme - conséquence et résultante de la vie passée, adaptée et façonnée par les forces dirigeantes en dehors de toute doctrine comme de toute théorie - entrant dans le dernier cycle de son évolution historique, le Congrès entend substituer le syndicalisme, expression naturelle de la vie sociale des individus en marche vers le communisme libre.

Rejetant le principe du partage des privilèges chers aux défenseurs de l’intérêt général et de la superposition des classes qui est aussi celui de nos adversaires, le syndicalisme doit poursuivre sa mission qui est : de détruire les privilèges, d’établir l’égalité sociale. Il n’atteindra ce but qu’en faisant disparaître le patronat, en abolissant le salariat individuel ou collectif et en supprimant l’Etat. Il préconise à ce sujet la grève générale, l’expropriation capitaliste et la prise de possession des moyens de production et d’échange, ainsi que la destruction immédiate de tout pouvoir étatique.

b) SES MOYENS DACTION - Précisant sa conception de la grève générale, le Congrès tient à déclarer très fermement que ce moyen d’action conserve à ses yeux toute sa valeur, en toutes circonstances, que ce soit corporativement, régionalement, nationalement ou internationalement. Que ce soit pour faire triompher les revendications particulières ou générales, fédérales ou nationales, offensivement ou défensivement, pour protester contre l’arbitraire patronal ou gouvernemental, la grève, partielle ou générale, reste et demeure la seule arme du prolétariat.

En ce qui concerne la grève générale expropriatrice, premier acte révolutionnaire qui sera marqué par la cessation immédiate et simultanée du travail en régime capitaliste, le Congrès affirme qu’elle ne peut être que violente. Elle aura pour objectif :

  • 1° de priver le capitalisme et l’Etat de toute possibilité d’action en s’emparant des moyens de production et d’échange et de chasser du pouvoir ses occupants du moment ;
  • 2° de défendre les conquêtes prolétariennes qui doivent permettre d’assurer l’existence de l’ordre nouveau ;
  • 3° de remettre en marche l’appareil de la production et des échanges, après avoir réduit au minimum - pour la prise de possession - le temps d’arrêt de la production et des échanges ruraux et urbains ;
  • 4° de remplacer le pouvoir étatique détruit par une organisation fédéraliste et rationnelle de la production, de l’échange et de la répartition.

Confiant dans la valeur de ce moyen de lutte, le Congrès déclare que le prolétariat, non seulement saura prendre possession de toutes les forces de production, détruire le pouvoir étatique existant, mais encore sera capable d’exploiter ces forces dans l’intérêt de la collectivité affranchie et de les défendre contre toute entreprise contre-révolutionnaire, les armes à la main, et de donner à l’organisation sociale la forme qu’exigera le stade d’évolution atteint par les individus vivant à cette époque.

Il déclare que le terme des conquêtes révolutionnaires ne peut être marqué que par les facultés de compréhension des travailleurs et les possibilités de réalisation de leurs organismes économiques, dont l’effort devra être porté au maximum.

Par là, le Congrès indique que la stabilisation momentanée de la révolution doit s’accomplir en dehors de tout système préconçu, de tout dogme, comme de toute théorie abstraite, qui seraient pratiquement en contradiction avec les faits de la vie économique qui doit nécessairement donner naissance à la vie politique et sociale exprimant l’ordre nouveau.

Proclamant son attachement indéfectible à la lutte révolutionnaire, le Congrès tient, pour bien préciser sa pensée, à déclarer qu’il considère la révolution comme un fait social, déterminé par la contradiction permanente des intérêts des classes en lutte, qui vient tout à coup marquer brutalement leur antagonisme en rompant le cours normal de leur évolution qu’il tend à précipiter.

En conséquence, il déclare que le syndicalisme (comme tous les autres mouvements) a le droit de l’utiliser, suivant ses desseins, pour atteindre le maximum des buts qu’il s’est fixé, sans confondre son action avec celles des partis qui prétendent, eux aussi, transformer l’ordre politique et social et préconisent pour cela la dictature prolétarienne et la constitution d’un Etat soi-disant provisoire.

En dehors de cette action essentielle, le Congrès déclare que, par son action revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que : la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc., il prépare chaque jour l’émancipation des travailleurs qui ne sera réalisée que par l’expropriation du capitalisme. En condamnant la " collaboration des classes " et " le syndicalisme d’intérêt général ", le Congrès tient à déclarer que ce ne sont pas les discussions inévitables entre patrons et ouvriers qui constituent des actes de collaboration de classes. En ne voyant dans ces discussions qui résultent de l’état de choses actuel qu’un aspect de la lutte permanente des classes, le Congrès précise que la collaboration des classes est caractérisée par le fait de participer, dans des organismes réunissant des représentants des ouvriers, des patrons ou de l’Etat, à l’étude en commun des problèmes économiques dont la solution apportée ne saurait que prolonger, en la renforçant, l’existence du régime actuel.

 Le syndicalisme dans la période pré-révolutionnaire

Considérant que dans la période pré-révolutionnaire le rôle du syndicalisme est de dresser une opposition constante aux forces capitalistes, de diminuer le pouvoir patronal en augmentant celui du syndicat, le Congrès estime que ces résultats ne peuvent être obtenus que par l’introduction du contrôle syndical dans les entreprises capitalistes, par la création des comités et des conseils d’ateliers, d’usines, de bureaux, de chantiers, de gares, de ports, de fermes ou d’exploitations agricoles dans tous les domaines de la production.

En même temps que sera menée à bien la besogne de documentation, d’éducation technique et professionnelle en vue de la réorganisation sociale, sera enfin réalisé, dans les meilleures conditions, l’apprentissage de classe de la gestion.

En indiquant que les syndicats constitueront les cadres de la société nouvelle, le Congrès déclare qu’en ouvrant l’accès du syndicat aux techniciens et aux savants, ceux-ci s’y trouveront placés sur un pied de complète égalité avec les autres travailleurs. C’est de la collaboration intelligente et amicale de tous ces éléments que surgira le véritable Conseil économique du travail, qui aura pour mission de poursuivre le travail de préparation à la gestion des moyens de production, d’échange et de répartition et aura à charge, sous la direction des Congrès, de chercher les moyens les meilleurs pour faire aboutir les revendications ouvrières.

 Rapport du syndicalisme avec les autres forces révolutionnaires

Le Congrès affirme à nouveau que le syndicalisme doit vivre et se développer dans l’indépendance absolue, qu’il doit jouir de l’autonomie complète qui convient à son caractère de force essentielle de la révolution. Par sa doctrine, ses buts, son action corporative et sociale, le syndicalisme s’aff irme comme le seul mouvement de classe des travailleurs. Il est capable de réaliser, par lui-même, aux différents stades de l’évolution humaine, aussi bien le communisme organisé que le communisme libre.

Cela implique qu’il ne peut concourir à la poursuite des objectifs politiques affirmés par les partis et qu’il ne peut lier son action à la leur. L’affirmation sans cesse plus nette des buts poursuivis par les autres confédérations syndicales et leurs partis oblige la C.N.T à répudier toutes alliances avec ces forces sur le terrain révolutionnaire. En effet, s’il est encore possible de réunir dans une action corporative commune toutes les forces ouvrières groupées dans les différentes confédérations syndicales, il est indéniable que toute conjugaison de ces mêmes forces pour une lutte révolutionnaire apparaît inutile et vaine en raison de l’opposition fondamentale des buts que se sont assignés les diverses fractions du syndicalisme.

De toute évidence, cette incompatibilité d’action révolutionnaire s’étend " a fortiori " aux ententes avec les partis politiques ouvriers qui, tous, sans exception, veulent et c’est leur raison d’être - instaurer un Etat politique dont ils auraient la direction. Etat dont le syndicalisme révolutionnaire proclame la nocivité et nie la nécessité.

En conséquence, le Congrès déclare que la C.N.T. ne peut unir ses efforts à ceux des autres confédérations syndicales que sur le terrain de l’action quotidienne. Il est d’ailleurs persuadé que l’unité de toutes les forces révolutionnaires se réalisera sur le terrain de classe, dans la phase décisive de destruction de l’Etat bourgeois et du capitalisme pour se continuer dans la période constructive, qu’elle se scellera par l’entrée de tous les travailleurs dans leur groupement naturel : le syndicat, organe complet de production, d’administration et de défense d’une société reposant exclusivement sur le travail, sa répartition, son échange, de la base au faîte de son édifice.

 Le syndicalisme dans le cadre international

Considérant que, plus que jamais, les travailleurs ont pour devoir de se tendre la main par-dessus les frontières et de proclamer qu’ils appartiennent à une même classe - celle des exploités.

Le Congrès estime que, pour opposer un front unique, commun et irrésistible à la puissance capitaliste, les ouvriers doivent se réunir au sein d’un organisme international dans lequel ils retrouveront le prolongement de leur propre action de classe qu’ils engagent dans chaque pays, contre leur patronat respectif.

Il estime que la place d’un mouvement syndical basé sur la lutte de classes ne peut être que dans une Internationale qui accepte les principes suivants : autonomie complète, indépendance absolue du syndicalisme dans l’administration, la propagande, la préparation de l’action, dans l’étude des moyens d’organisation et de lutte future et dans l’action ellemême.

Ayant ainsi défini sa compréhension de l’action du syndicalisme révolutionnaire sur le terrain national et international, le Congrès donne l’adhésion de la C.N.T. à l’Association Internationale des Travailleurs.

Il proclame que cette Internationale est la continuation logique de la Première Internationale, de même que la C.N.T est la continuation de la C.G.T. de 1906.

 Réorganisation des jeunesses syndicalistes

(supprimé au congrès de Besançon 1999 ?)

Considérant que le développement et l’avenir du mouvement syndical résident en grande partie dans la formation sans cesse renouvelée de ses cadres, Le Congrès décide que l’éducation des jeunes ouvriers doit redevenir une des principales préoccupations du syndicalisme. En conséquence, il fait obligation très précise aux organismes syndicaux à tous les degrés de reconstituer, sous la direction effective de la C.N.T, les jeunesses syndicalistes. Il spécifie que les jeunes n’ayant pas à déposer ou à défendre des revendications, ce qui est du ressort du syndicat, devront recevoir une large éducation sociale qui doit leur être donnée par les unions locales, avec le concours des syndicats. Les groupements locaux, régionaux et nationaux de jeunes participeront à titre consultatif aux assemblées de même nature de la C.N.T. Ils devront, dès que possible, aussitôt qu’ils auront acquis les notions indispensables, être adjoints aux militants locaux, régionaux ou nationaux responsables de la marche des différents rouages du syndicalisme pour s’initier à leur fonctionnement. En outre, le Congrès charge le Bureau confédéral de présenter au prochain C.C.N. un plan complet d’organisation des jeunesses syndicalistes.


 Les statuts de la C.N.T.

Adoptés au congrès constitutif de décembre 1946 modifiés au troisième congrès de novembre 1949 modifiés au vingt-sixième congrès d’avril 1995

TITRE PREMIER

 But

Article premier. - La Confédération Nationale du Travail a pour but :

  • De grouper, sur le terrain spécifiquement économique, pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux, tous les salariés, à l’exception des forces répressives de l’Etat, considérées comme des ennemies des travailleurs ;
  • De poursuivre, par la lutte de classes et l’action directe, la libération des travailleurs qui ne sera réalisée que par la transformation totale de la société actuelle.

Elle précise que cette transformation ne s’accomplira que par la suppression du salariat, par la syndicalisation des moyens de production, de répartition, d’échange et de consommation, et le remplacement de l’Etat par un organisme issu du syndicalisme lui-même et géré par l’ensemble de la société.

La Confédération Nationale du Travail reposant sur le producteur, garantit à celui-ci la direction de l’organisation des travailleurs.

La Confédération Nationale du Travail fait partie intégrante de l’A.I.T. au sein de laquelle elle collabore à l’étude des questions sociales et économiques à l’échelle internationale et avec laquelle elle oeuvre pour la libération totale des travailleurs.

La C.N.T créera ou placera sous son contrôle toute oeuvre susceptible de développer l’instruction et la conscience de classe de ses adhérents, d’entretenir la solidarité parmi eux et de resserrer les liens de fraternité qui les unissent.

TITRE II

 Composition

Art. 2. - La C.N.T. est constituée par :

  • 1° Les Syndicats, groupés dans les Unions locales et régionales, et les Fédérations d’industrie ;
  • 2° Les Unions régionales de Syndicats ;
  • 3° Les Fédérations d’industrie.

Cette association est conçue et organisée sur des bases fédéralistes.

Nul syndicat ne peut faire partie de la C.N.T s’il n’adhère pas à la Fédération d’industrie, à son Union locale et à son Union régionale.

Les organisations adhérentes à la C.N.T. ont droit à la marque distinctive appelée label confédéral.

TITRE III

 Organisation et administration

Art. 3. - La C.N.T. est administrée suivant les directives données et les décisions prises par les Syndicats réunis en Congrès, à l’automne, tous les deux ans.

 Comité Confédéral National

Art. 4. - Dans l’intervalle des Congrès la C.N.T. est administrée par le C.C.N. Le C.C.N. est constitué par un délégué de chaque Union régionale. Il se réunit pendant le dernier mois de chaque trimestre et extraordinairement, en cas de circonstances graves, sur la décision de la C.A. ou à la demande de trois Unions régionales. Chaque région a une voix. Les membres du Bureau, un délégué de chaque Fédération et un responsable de la commission de contrôle siègent à titre consultatif, ainsi que les membres de la C.A. Les frais de délégation occasionnés par la tenue des C.C.N. sont remboursés par la Caisse du Congrès de la C.N.T. dans les conditions prévues à chaque C.C.N.

Art. 5. - Les procès-verbaux de chacune des séances du C.C.N. donneront le nom des régions représentées, excusées et absentes. Les délégués sont tenus de rendre compte des discussions de ces divers comités à leurs mandants.

 Commission administrative

Art. 6. - Dans l’intervalle des Comités Confédéraux Nationaux, la C.N.T. est administrée par la Commission administrative, élue par le Congrès. La C.A. est composée de vingt à trente membres choisis parmi les militants de la Région où siège la C.N.T. Les candidats sont présentés par les Syndicats. Pour la vérification des votes, le Congrès désignera une Commission spéciale. Au cas où des candidats au-dessus du nombre de trente obtiendraient le même nombre de voix que le trentième, ils seront élus au même titre que lui. La nouvelle C.A. entre en fonctions à l’issue du Congrès. Les membres de la C.A. sortante sont immédiatement rééligibles.

 Bureau

Art. 7. - Le Bureau est l’agent d’exécution et de liaison de la C.N.T. Il est nommé pour deux ans. Il est élu par le C.C.N. tenu pendant le Congrès et ratifié par lui dans les mêmes conditions que pour la C.A. Il est révocable par le Congrès et, en cas de circonstances graves, il peut être suspendu par un C.C.N. qui nommera un Bureau provisoire jusqu’au Congrès extraordinaire convoqué de droit. Les membres du Bureau confédéral et du " C.S. " ne pourront occuper aucun poste responsable relevant d’un parti politique, d’une secte philosophique ou religieuse. Leur acte de candidature impliquera d’office leur démission des fonctions qu’ils occupent. Les membres responsables de la C.N.T. ne peuvent se prévaloir de ce titre en dehors de ce qui la concerne.

Art. 8. - (supprimé par le XXVI° Congrès d’avril 1995)

Art. 9. - Les candidats au Bureau Confédéral sont présentés par les Syndicats. Les Syndicats doivent faire parvenir à la C.N.T. la liste de leurs candidats, pris dans leur sein ou en dehors d’eux, au moins deux mois avant la date du Congrès Confédéral. La liste des candidats est immédiatement communiquée à tous les Syndicats par le Bureau confédéral.

Art. 10. - La désignation des délégués de la C.N.T aux diverses commissions, comités ou conseils extérieurs à la C.N.T. est faite par la C.A. Ces délégués aviseront la C.A. et le Bureau des convocations qui pourraient leur parvenir. Ils seront tenus, de demander un mandat de la C.A. (ou du Bureau, en cas d’extrême urgence), sur l’objet de leur convocation. Ils auront à rendre compte de son accomplissement dans la forme que la C.A. leur demandera.

Art. 11. - Le Bureau doit adresser trimestriellement, avant chaque C.C.N., un rapport confidentiel d’activité aux U.R. et aux Fédérations.

 Unions régionales et locales

Art. 12. - L’ensemble du pays est divisé en régions, dont la délimitation et le nombre sont, en principe, fixés par le Congrès confédéral.

Les Unions régionales ont le devoir de constituer partout où il leur est possible des Unions locales auxquelles les Syndicats doivent obligatoirement adhérer.

Les Unions régionales, qui sont l’expression même de la C.N.T., doivent satisfaire aux demandes et aux désirs des travailleurs, en embrassant toute l’activité économique et sociale que nécessite la défense de leurs intérêts matériels et moraux, et qu’impose leur libération totale et définitive, but suprême du syndicalisme.

Les Unions régionales peuvent correspondre entre elles et avec les Fédérations. A chaque C.C.N., le Bureau donnera toutes indications utiles pour permettre ces relations.

Les Unions régionales doivent établir des rapports trimestriels sur leur activité. Ces rapports doivent être communiqués à la C.A., au Bureau, aux autres Unions régionales et aux Fédérations.

 Fédérations

Art. 13. - En plus du rôle technique qui leur incombe et qui est du plus haut intérêt, les Fédérations ont pour mission de coordonner interrégionalement l’action de leurs Syndicats d’industrie.

TITRE IV

 Congrès

Art. 14. - Les Syndicats se réunissent en Congrès national tous les deux ans en automne. A la demande d’un quart des Unions régionales ou de 25% des Syndicats adhérents à la C N.T., la C.A. sera obligée, dans le délai d’un mois, de faire un référendum dans les Syndicats, en les informant de cette demande de Congrès extraordinaire. Si la majorité accepte cette demande. le Congrès sera réuni dans le mois suivant. Ne peuvent participer au Congrès que les organisations à jour de leur cotisation à la fin du quatrième mois précédant la date du Congrès. Les frais de délégation au Congrès sont assurés par la Caisse de Congrès, dans la proportion fixée par chaque Congrès.

Art. 15. - La C.A. avise les Syndicats de la tenue du Congrès, trois mois avant la date du dit Congrès, et leur demande les questions à mettre à l’ordre du jour. Elle dresse l’ordre du jour d’après les réponses des Syndicats. Elle établit elle-même le rapport moral et le rapport financier, ainsi que les projets sur des réalisations pratiques, s’il y a lieu. Elle transmet ces rapports ainsi que le rapport de la Commission de contrôle à tous les Syndicats. Le Syndicat qui a demandé l’inscription d’une question à l’ordre du jour, établit lui-même le rapport sur cette question. Ce rapport est tiré et envoyé par la C.A. à tous les Syndicats, deux mois avant la date du Congrès. Au cas où plusieurs Syndicats auraient demandé l’inscription de la même question à l’ordre du jour, c’est le Syndicat qui a fait la première demande qui est chargé du rapport. Chaque Syndicat peut établir un contre-rapport sur les points de l’ordre du jour, mais il devra fournir lui-même au Bureau ces rapports, tirés en nombre égal au nombre des Syndicats, le Bureau étant chargé d’en assurer la distribution.

Art. 16. - Le compte rendu du Congrès sera publié sous la responsabilité du Bureau élu par le Congrès. Chaque Syndicat, Union locale, Union régionale, Fédération, en reçoit un exemplaire à titre gratuit. Un duplicatum de la minute sténographique, les rapports des Commissions, ainsi que les propositions déposées sur le Bureau du Congrès, seront versés aux archives de la C.N.T.

Art. 17. - Chaque Syndicat représenté au Congrès dispose d’une voix. Chaque délégué ne peut, en principe, représenter exceptionnellement que trois Syndicats au maximum. Un membre du Bureau ou de la C.A. ne peut représenter que son Syndicat. Il ne peut détenir un mandat d’un autre Syndicat. Les membres de la C.A. assistent, àtitreconsultatif,auCongrès, ainsi qu’un représentant de chaque Fédération d’industrie et un responsable de la Commission de contrôle.

TITRE V

 Trésorerie

Art. 18. - Les ressources sont fournies par le montant de la carte confédérale livrée aux Syndicats par le canal des Unions locales et Unions régionales etd’un prélèvement sur le timbre. Le timbre confédéral est unique. Sa répartition est ainsi faite :

  • 1° Le Syndicat ;
  • 2° La Localité ;
  • 3° La Région ;
  • 4° La Fédération ;
  • 5° La Confédération.

La carte confédérale et les timbres sont obligatoires et doivent être délivrés par tous les Syndicats à leurs adhérents.

Art. 19. - Le prix de la carte est fixé par décision du Congrès. 50% vont à la Confédération et 50% à la Caisse du Congrès. Les fonds de cette Caisse du Congrès ne peuvent être déviés de leur usage. La part de la Confédération sur le timbre de la cotisation mensuelle est déterminée par le Congrès.

Art. 20. - Le mécanisme suivant de répartition suivant est établi : les Unions locales font le relevé des besoins de timbres dans leur localité par industrie ; elles adressent ce relevé aux Unions régionales, qui font leur commande à la C.N.T. Les Unions régionales les achètent directement à la C.N.T. et font la répartition suivant le mode indiqué.

Pour la bonne marche des paiements des cotisations, les Unions régionales ou Unions locales délivreront à chaque commande un reçu à double souche. La seconde souche sera adressée par les Syndicats aux Fédérations d’industrie. Les Unions régionales adresseront à la Confédération et aux Fédérations la part qui leur revient. Les Unions régionales sont pourvues de ressources par la part qu’elles prélèvent sur le timbre confédéral qu’elles vendent aux Unions locales ou aux Syndicats qui leur sont rattachés. Les Unions locales, qui jouent le même rôle dans la localité que les Unions régionales dans la région, trouvent leurs ressources dans le prélèvement qu’elles opèrent sur le prix du timbre qu’elles vendent aux Syndicats.

Les Fédérations ne prélèvent sur le produit de la vente du timbre qu’une part correspondante aux dépenses nécessitées par leurs travaux et leur activité générale. Le trésorier confédéral transmettra aux Fédérations les ristournes leur revenant.

Art. 21. - La Caisse de la C.N.T est confiée au trésorier confédéral qui en est responsable sous le contrôle de la C.A. Un compte rendu financier sera fait à chaque C.C.N. par le trésorier confédéral.

 Commission de contrôle

Art. 22. - Il est constitué une Commission de contrôle composée de cinq membres élus par le Congrès et présentés par les Syndicats. Elle est chargée de la vérification de la comptabilité et du contrôle des opérations financières de la C.N.T. Elle devra établir pour chaque C.C.N. un compte rendu sommaire et pour chaque Congrès un rapport détaillé sur la situation financière. Ce rapport sera adressé à chaque Syndicat en même temps que le rapport financier établi par la C. A. La Commission aura le droit, en cas de mauvaise gestion, et sur proposition approuvée par la C.A. de faire réunir un C.C.N. extraordinaire. La Commission choisit dans son sein un secrétaire chargé de la convoquer chaque mois pour la vérification des comptes. Les membres de cette Commission sont soumis aux mêmes règles que les membres de la C.A.

 Caisse de solidarité

Art. 23. - Il est institué au Siège social et dans chaque Union régionale une Caisse spéciale dite de solidarité, dont le montant est destiné à venir en aide à tous les travailleurs victimes de la lutte sociale. Cette Caisse est alimentée par les timbres solidarité. Deux timbres par an sont obligatoires ; chaque syndiqué peut en prendre facultativement autant qu’il lui plaît. Le montant du timbre solidarité est fixé par le Congrès. La part de la Caisse de solidarité du Siège social est fixée à 50%. La part de la Caisse de solidarité régionale ou syndicale, dans le cas où la région ne fonctionne pas, est fixée à 50%. Les fonds sont inscrits au compte spécial " Caisse de Solidarité ". Les retraits ne peuvent être effectués qu’après décision de la C.A. et seulement pour la solidarité.

 Caisse A.I.T

Art. 24. - La cotisation destinée à l’A.I.T. est représentée par un timbre semestriel obligatoire. Le montant de cette cotisation est fixée par les Congrès internationaux. Le montant de ces timbres inscrit à un compte spécial A.I.T. est versé à l’ A.I.T.

TITRE VI

 Dispositions diverses

Art. 25. - Tout conflit existant entre les organismes suivants : Syndicat, Union locale, Union régionale, Fédération, C.A., Bureau, doit être soumis au prochain C,C.N. (ou au C.C.N. extraordinaire convoqué dans les conditions prévues à l’article 4), qui a pouvoir de décision provisoire, pouvant aller jusqu’à l’exclusion du Syndicat, Union locale, Union régionale, Fédération, Bureau. L’organisme incriminé peut faire appel devant le Congrès.

Le Congrès seul peut se prononcer définitivement.

En cas de circonstances graves, le C.C.N. peut décider la convocation d’un Congrès extraordinaire. L’organisme incriminé garde le droit de présenter sa défense soit au C.C.N., soit au Congrès. Tout conflit présenté au C.C.N. ou au Congrès devra être inscrit à l’ordre du jour.

Art. 26. - Tout cas litigieux non prévu sera soumis à la plus prochaine réunion du C.C.N., et tranché selon l’esprit des présents statuts. Art. 27. - Le siège de la C.N.T est fixé par le Congrès.

 Modification des statuts

Art. 28. - Les présents statuts ne peuvent être modifiés que par un Congrès, à condition que le texte des modifications ait été porté à la connaissance des Syndicats trois mois à l’avance et six mois en ce qui concerne les articles 7 et 8.

 Dissolution

Art. 29. - En cas de dissolution, la liquidation de l’actif social sera versée à l’A.I.T.


 Déclaration de principe de l’Association Internationale des Travailleurs

NOUVELLE MANIERE (1922-1923), extrait de l’Encyclopédie anarchistes.

Association internationale des travailleurs.

Déclaration de principe adoptée au congrès constitutif des syndicalistes révolutionnaires, à Berlin, du 25 décembre 1922 au 2 janvier 1923.

Etaient représentées des organisations syndicales révolutionnaires de l’Argentine, du Chili, du Danemark, de l’Allemagne, de la France (Comité de défense syndicaliste), de la Hollande, de l’Italie, du Mexique, de la Norvège, du Portugal, de la Russie (minorité), de la Suède, de l’Espagne, de la Tchécoslovaquie (minorité).

 I - Introduction

La lutte séculaire entre exploités et exploiteurs a pris une amplitude menaçante. Le capital tout puissant, chancelant pour un moment après la guerre mondiale et dévastatrice, surtout après la grande révolution russe et les révolutions - bien que moins imposantes - de la Hongrie et de l’Allemagne, relève sa tête hideuse. Malgré les luttes intestines qui déchirent la bourgeoisie et le capitalisme cosmopolite, ces derniers sont en bonne voie pour s’entendre afin de se jeter avec plus d’union et plus de force sur la classe ouvrière et l’attacher au chariot triomphant du capital.

Le capitalisme s’organise, et de la défensive dans laquelle il s’est trouvé il repasse à l’offensive sur tous les fronts contre la classe ouvrière épuisée par les guerres sanglantes et les révolutions manquées. Cette origine a son origine profonde dans deux causes bien déterminées : d’abord la confusion des idées et des principes, qui existe dans les rangs du mouvement ouvrier, le manque de clarté et de cohésion sur les buts actuels et futurs de la classe ouvrière ; la division en camps innombrables, souvent ennemies ; en un mot la faiblesse et la désorganisation du mouvement ouvrier. Ensuite et surtout la déroute subséquente de la révolution russe qui, au moment de son éclosion, en raison même des grands principes énoncés par elle en novembre 1917, avait soulevé les plus grands espoirs chez tous les prolétaires du monde, et qui est retombé au rang d’une révolution politique ayant servi à maintenir la conquête du pouvoir étatiste aux mains du parti communiste, dont le seul but est de monopoliser dans ses mains toute la vie économique, politique et sociale du pays. Cette déviation d’une révolution sociale en une révolution politique a eu pour résultat une hypertrophie du socialisme étatiste dont la conséquence a été le développement d’un système capitaliste aussi exploiteur et aussi dominateur que tout autre système d’origine bourgeoise. La nécessité de rétablir le capitalisme en Russie a été l’enjeu du capitalisme mondial. Le socialisme étatiste, dénommé " communiste ", a sauvé le capitalisme bourgeois en faisant appel à son aide pour … sauver la révolution !

C’est ainsi que, grâce à ces deux éléments désorganisateurs - la confusion dans les rangs du prolétariat et le bolchevisme capitaliste - le gros capital industriel et foncier sent ses forces s’accroître et ses chances de renaissance augmenter. Contre cette attaque serrée et internationale des exploiteurs de tout aloi, il ne reste qu’un seul moyen : c’est l’organisation immédiate de l’armée prolétarienne dans un organisme de lutte embrassant tous les ouvriers révolutionnaires de tous les pays en bloc granitique, contre lequel viendraient se briser toutes les entreprises capitalistes et qui finirait par les écraser sous son poids immense.

Plusieurs tentatives ont déjà été faites dans ce sens. Deux de ces tentatives espèrent encore y réussir : ce sont les deux Internationales dites d’Amsterdam et de Moscou ; mais les deux portent en elles le germe empoisonnant et autodestructeur. L’Internationale d’Amsterdam, perdue dans le réformisme, considère que la seule solution du problème social réside dans la collaboration de classes, dans la cohabitation du Travail et du Capital et dans la révolution pacifique patiemment attendue et réalisée, sans violence ni lutte, avec le consentement et l’approbation de la bourgeoisie. L’Internationale de Moscou, de son coté, considère que le Parti Communiste est l’arbitre suprême de toute révolution, et que ce n’est que sous la férule de ce parti que les révolutions à venir devront être déclenchées et consommées.

Il est à regretter que dans les rangs du prolétariat révolutionnaire conscient et organisé il existe encore des tendances supportant ce qui, en théorie comme en pratique, ne pouvait plus tenir debout : l’organisation de l’Etat c’est-à-dire l’organisation de l’esclavage, du salariat, de la police, de l’armée, du joug politique ; en un mot de la soi-disant dictature du prolétariat qui ne peut être autre chose qu’un frein à la force expropriatrice directe qu’une suppression de la souveraineté réelle de la classe ouvrière et qui devient, par là, la dictature de fer d’une clique politique sur le prolétariat. C’est l’hégémonie du communisme autoritaire, c’est-à-dire la pire forme de l’autoritarisme, du césarisme en politique, de la complète destruction de l’individu.

Contre l’offensive du Capital d’un côté, contre les politiciens de toute envergure de l’autre, les ouvriers révolutionnaires du monde doivent donc dresser une vraie association internationale des travailleurs dont chaque membre saura que l’émancipation finale des travailleurs ne sera possible que lorsque les travailleurs eux-mêmes en tant que travailleurs, dans leurs organisations économiques, seront préparés non seulement à prendre possession de la terre et des usines, mais aussi à les gérer en commun et faire de telle sorte qu’ils soient en état de continuer la production.

Avec cette perspective devant lui, le Congrès international des Syndicalistes révolutionnaires, réuni à Berlin en décembre 1922, déclare sienne la déclaration de principe suivante, élaborée par la Conférence préalable des Syndicalistes révolutionnaires (juin 1922) :

 II - Principes du syndicalisme revolutionnaire

" 1. Le syndicalisme révolutionnaire, se basant sur la lutte de classe, tend à l’union de tous les travailleurs manuels et intellectuels dans des organisations économiques de combat luttant pour leur affranchissement du joug du salariat et de l’oppression de l’Etat. Son but consiste en la réorganisation de la vie sociale sur la base du communisme libre, au moyen de l’action révolutionnaire de la classe ouvrière elle-même. Il considère que seules les organisations économiques du prolétariat sont capables de réaliser ce but, et s’adresse, par conséquent, aux ouvriers, en leur qualité de producteurs et de créateurs des richesses sociales, en opposition aux partis politiques ouvriers modernes qui ne peuvent jamais être considérés du point de vue de la réorganisation économique.

2. Le syndicalisme révolutionnaire est ennemi convaincu de tout monopole économique et social, et tend vers leur abolition au moyen de communes économiques et d’organes administratifs des ouvriers des champs et des usines sur la base d’un système libre de Conseils affranchis de toute subordination à tout pouvoir ou parti politique. Il érige contre la politique de l’Etat et des partis l’organisation économique du travail ; contre le gouvernement des hommes, la gestion des choses. Il n’a pas, par conséquent, pour but la conquête des pouvoirs politiques mais l’abolition de toute fonction étatiste dans la vie sociale. Il considère qu’avec le monopole de la propriété doit aussi disparaître le monopole de la domination, et que toute forme d’Etat, la forme de la dictature du prolétariat y comprise, ne peut jamais être un instrument d’affranchissement, mais sera toujours créateur de nouveaux monopoles et de nouveaux privilèges.

3. La double tâche du syndicalisme révolutionnaire est la suivante : d’un côté il poursuit la lutte révolutionnaire quotidienne pour l’amélioration économique, sociale et intellectuelle de la classe ouvrière dans les cadres de la société actuelle. De l’autre coté, son but final est d’élever les masses à la gestion indépendante de la production et de la distribution, ainsi qu’à la prise de possession de toutes les ramifications de la vie sociale. Il est convaincu que l’organisation d’un système économique reposant, de la base au faîte, sur le producteur ne peut jamais être réglée par des décrets gouvernementaux, mais seulement par l’action commune de tous les travailleurs manuels et intellectuels dans chaque branche d’industrie, par la gestion des fabriques par les producteurs eux-mêmes sous une forme telle que chaque groupement, usine ou branche d’industrie soit un membre autonome de l’organisme économique général et développe systématiquement sur un plan déterminé et sur la base d’accords mutuels la production et la distribution dans l’intérêt de toute la communauté.

4. Le syndicalisme révolutionnaire est opposé à toute tendance et organisation centralistes qui ne sont qu’empruntées à l’Etat et à l’Eglise et qui étouffent méthodiquement tout esprit d’initiative et toute pensée indépendante. Le centralisme est l’organisation artificielle de haut en bas qui remet en bloc, aux mains d’une poignée, la réglementation des affaires de toute la communauté. L’individu ne devient alors qu’un automate dirigé et mis en mouvement d’en haut. Les intérêts de la communauté font place aux privilèges de quelques-uns ; la diversité est remplacée par l’uniformité, la responsabilité personnelle fait place à la discipline inanimée ; le dressage remplace l’éducation. C’est pour cette raison que le syndicalisme révolutionnaire se place sur le point de vue de l’organisation fédéraliste, c’est à dire de l’organisation de bas en haut, de l’union libre de toutes les forces sur la base des idées et intérêts communs.

5. Le syndicalisme révolutionnaire rejette toute activité parlementaire et toute collaboration avec les organismes législatifs. Le suffrage le plus libre ne peut faire disparaître les contradictions flagrantes existant au sein de la société actuelle ; le système parlementaire n’a qu’un seul but, celui de prêter un simulacre de droit légal au règne du mensonge et de l’injustice sociale ; amener les esclaves à opposer le sceau de la loi à leur propre esclavage.

6. Le syndicalisme révolutionnaire rejette toutes les frontières politiques et nationales arbitrairement fixées et ne voit dans le nationalisme que la religion de l’Etat moderne, derrière laquelle se cachent les intérêts matériels des classes possédantes. Il ne reconnaît que les différences d’ordre régional et exige pour tout groupement le droit de sa propre détermination en accord solidaire avec toutes les autres associations d’ordre économique, régional ou national.

7. C’est pour les mêmes raisons que syndicalisme révolutionnaire combat le militarisme sous toutes ses formes et considère la propagande anti-militariste comme une de ses tâches les plus importantes dans la lutte contre le système actuel. En première ligne, il faut considérer le refus individuel et, surtout, le boycottage organisé contre la fabrication du matériel de guerre.

8. Le syndicalisme révolutionnaire se place sur le terrain de l’action directe et soutient toutes les luttes qui ne sont pas en contradiction avec ses buts : l’abolition du monopole économique et de la domination de l’Etat. Les moyens de lutte sont : la grève, le boycottage, le sabotage, etc… L’action directe trouve son expression la plus profonde dans la grève générale qui, en même temps, doit être, du point de vue du syndicalisme révolutionnaire, le prélude de la révolution sociale.

9. Ennemis de toute violence organisée entre les mains d’un gouvernement quelconque, les syndicalistes n’oublient pas que les luttes décisives entre le capitalisme d’aujourd’hui et le communisme libre de demain ne se passeront pas sans collisions sérieuses. Ils reconnaissent, par conséquent, la violence comme moyen de défense contre les méthodes de violence des classes régnantes dans la lutte pour l’expropriation des moyens de production et de la terre par le peuple révolutionnaire. Tout comme cette expropriation ne peut être commencée et menée à bonne fin que par les organisations économiques révolutionnaires des travailleurs, la défense de la révolution doit aussi se trouver dans les mains de ces organismes économiques et non dans celles d’une organisation militaire ou autre Å“uvrant en dehors de ces organes économiques.

10. Ce n’est que dans les organisations économiques révolutionnaires de la classe ouvrière que se trouve la force capable de réaliser son affranchissement et l’énergie créatrice nécessaire pour la réorganisation de la société sur la base du communisme libre. "

CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS


 Anarchisme et anarcho syndicalisme

Rapport de Pierre Besnard au Congrès anarchiste internationale de 1937

 Préface

Quand il y a un demi-siècle environ, les anarchistes russes avaient, les premiers, levé l’étendard de l’anarcho-syndicalisme, ce mot fut reçu assez fraîchement par le mouvement anarchiste. Et en 1917, au lendemain de la chute du tsarisme, qui fut aussi la veille de la Révolution d’Octobre, les anarchistes communistes furent excessivement réservés, voire hostiles, à cette nouvelle formation anarchiste. L’anarcho-syndicalisme n’est pas une doctrine. C’est la conjonction d’une doctrine déterminée et d’une tactique syndicale également déterminée. Le syndicalisme révolutionnaire tel que nous le connaissions en France, avant la guerre, fut créé, pour ainsi dire, et développé par des militants anarchistes, par Pelloutier. par Griffuelles, par Pouget. Mais dès son avènement, ses créateurs et propagandistes, ses militants voulurent entourer ce mouvement d’une muraille de neutralisme absolu à l’égard de toute idéologie politique ou philosophique. Rappelons-nous les termes de la charte d’Amiens. Mais la lutte de classes ne peut avoir de valeur positive que si elle est constructive dans ses aspirations. Il fallait donc donner à cette lutte un programme minimum de revendications partielles du présent. L’anarcho-syndicalisme est précisément né de cette nécessité, que les anarchistes ont fini par comprendre, d’ajouter au programme du jour un programme social qui engloberait toute la vie économique et sociale d’un peuple. La Grande Guerre balaya la Charte du neutralisme syndical. Et la scission au sein de la Première Internationale entre Marx et Bakounine eut son écho - à la distance de presque un demi-siècle - dans la scission historique inévitable au sein du mouvement ouvrier international d’après guerre. Contre la politique de l’asservissement du mouvement ouvrier aux exigences de partis politiques dénommés " ouvriers « , un nouveau mouvement, basé sur l’action directe des masses, en dehors et contre tous les partis politiques, surgissait des cendres encore fumantes de la guerre de 1914-1918. L’anarcho-syndicalisme réalisant la seule conjonction de forces et d’éléments capable de garantir à la classe ouvrière et paysanne sa complète indépendance et son droit inéluctable à l’initiative révolutionnaire dans toutes les manifestations d’une lutte sans merci contre le Capitalisme et l’Etat, et sans réédification. sur les ruines des régimes déchus, d’une vie sociale libertaire. L’anarcho-syndicalisme complète donc l’anarchisme communisme. Ce dernier souffrait d’une lacune considérable qui paralysait toute sa propagande : son détachement des masses ouvrières. Pour y infiltrer les principes libertaires et pour donner à ceux-ci des possibilités de réalisation concrète, il avait fallu organiser des syndicats et y étayer le syndicalisme sur des bases libertaires et antiétatiques. C’est ce qu’a fait, c’est ce que continue à faire l’anarcho-syndicalisme ; Maintenant que l’anarcho-syndicalisme existe comme force organisatrice de la révolution sociale sur des bases communistes libertaires, les anarchistes communistes se doivent d’être pour l’organisation de la révolution, des anarcho-syndicalistes, et chaque anarchiste syndicable doit être membre de la Confédération du Travail anarcho-syndicaliste. Organisés, en dehors des syndicats, dans leurs fédérations idéologiques ou "spécifiques". (si l’on s’en tient à la terminologie de nos camarades espagnols). les anarchistes restent le ferment toujours en éveil permettant à l’anarcho-syndicalisme de bâtir, mais ne lui permettant pas des compromissions dangereuses. Mais il ne faut pas que la direction idéologique, qui implique que les "réalisateurs" sont imprégnés de l’idéal des "propagandistes", se mue en direction effective. Jusqu’ici et surtout après la guerre, les mouvements syndicaux, nationalement ou internationalement s’étaient toujours trouvés à la remorque d’un quelconque parti "ouvrier" ou d’une Internationale "ouvrière". Il ne faut pas que l’anarcho-syndicalisme, qui représente aujourd’hui le mouvement syndicaliste révolutionnaire d’action directe et de reconstruction libertaire vienne, en imitant le reste du mouvement ouvrier, à se trouver, lui aussi, à la remorque d’une organisation " spécifique " quelconque, nationalement ou internationalement. L’erreur serait aussi irrévocablement fatale qu’elle l’a été pour le mouvement syndical à tendance réformiste ou dictatoriale. La Fédération Anarchiste appuie la Confédération Anarcho-Syndicaliste dans son oeuvre de lutte et de reconstruction révolutionnaire. Elle ne doit en prendre ni l’initiative ni la direction. Une Internationale Anarchiste ne peut, sur le terrain international, qu’être le miroir des Fédérations Anarchistes nationales. Elle sera le rempart de l’AIT, mais ne devra pas devenir son commandant en chef. Tels sont les problèmes que l’anarcho-syndicalisme place devant le mouvement anarchiste et que Pierre Besnard traite dans son Rapport. Leur solution logique ne dépendra que de la juste compréhension du passé, du présent et de l’avenir du mouvement anarchiste de ses erreurs d’hier et des risques que le lendemain comporte.

A. SCHAPIRO

 Anarcho-syndicalisme et anarchisme

 Tactique et intervention syndicale

Avant d’aborder le problème soumis à l’examen du Congrès, il me paraît indispensable de donner quelques explications préalables. Constatons sans tarder davantage qu’il s’agit en réalité, de définir aussi exactement que possible les rapports du mouvement Anarchiste Révolutionnaire et des Forces Anarcho-Syndicalistes ou plus clairement encore, de l’Internationale Anarchiste, à laquelle le Congrès donnera naissance, et l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) Et pour résoudre convenablement cette question, il n’est pas inutile, à mon avis

  • 1° de définir succinctement et aussi précisément que possible l’Anarchisme et l’Anarcho-Syndicalisme ;
  • 2° de faire ressortir leurs caractères essentiels et de déterminer leurs rôles respectifs ;
  • 3° de démontrer l’identité de leur finalité ;
  • 4° de déterminer leurs rapports.

 I - Qu’est-ce que l’Anarchisme révolutionnaire ?

L’Anarchisme Révolutionnaire est un mouvement dont la doctrine tend à instituer une vie individuelle et collective de laquelle l’État, le Gouvernement et l’autorité seront exclus. La base d’une telle société est indiscutablement l’homme. L’Anarchisme est donc l’affirmation d’une revendication sociale permanente, dans le présent, et infinie pour l’avenir, dans le progrès indéfini. Il suppose l’édification d’une construction économique administrative et sociale et se doit de la définir dès maintenant. Je suis convaincu que le Congrès ne manquera pas de le faire. Historiquement. l’Anarchisme Révolutionnaire est la troisième branche du socialisme traditionnel. Il est, par opposition aux deux autres branches, le Socialisme et le Communisme - toutes deux politiques, autoritaire et étatiques - apolitique, antiparlementaire et antiétatique. Sa caractéristique essentielle est la liberté, dans le cadre de la responsabilité, tant individuelle que collective. Ses tâches principales actuellement sont : la propagande, la vulgarisation et l’éducation sociale des masses travailleuses, aujourd’hui ; l’administration sociale, demain.

 II. - Qu’est-ce que l’Anarcho-Syndicalisme ?

L’anarcho-Syndicalisme est un mouvement organique et organisé. Il tient sa doctrine de l’Anarchisme et sa forme d’organisation du Syndicalisme Révolutionnaire. Il est l’expression actuelle, sur le plan économique et social, de la doctrine anarchiste. Il en est aussi, sur le terrain révolutionnaire, comme le prouve l’expérience espagnole elle-même, l’agent essentiel de réalisation. Il est représenté dans le monde pat l’AIT et ses Centrales Nationales. Sa doctrine a été définie par le Congrès constitutif de la 2ème AIT (25 au 31 décembre 1922). par les Congrès successifs, les ouvrages et écrits de ses militants. La CNT représente en Espagne, l’Anarcho-Syndicalisme de l’AIT. Pratiquement et non moins historiquement, l’Anarcho-Syndicalisme est la forme organique que prend l’Anarchie, pour lutter contre le capitalisme. Il est en opposition fondamentale avec le Syndicalisme politique et réformiste. La substitution de la notion de classe à la notion de parti fait de l’Anarcho-Syndicalisme une nécessité pour les travailleurs, obligés de défendre leurs conditions de vie, de préparer leur affranchissement économique et social. Le mouvement Anarcho-Syndicaliste permet de conjuguer l’action pour la lutte revendicative quotidienne et les aspirations les plus hautes des travailleurs. Il réalise l’union de ceux-ci sur le double plan des intérêts matériels et moraux, immédiats et futurs. Il fait surgir de la communauté des intérêts l’identité des buts et, par voie de conséquence logique et naturelle, la concordance des doctrines. L’Anarcho-syndicalisme, comme toute doctrine vraiment sociale, est essentiellement expérimental. La preuve est faite aujourd’hui, en Espagne, que sa doctrine, consacrée et confirmée par les faits, est immédiatement réalisable. Expérimental ? Il l’est comme tous les mouvements sociaux et toutes les sciences ; En sociologie, comme en physique, en chimie, en mécanique, l’idée part de fait pour revenir au fait. Toujours le fait précède l’idée et crée la doctrine, la philosophie, d’où sortira la réalisation. La doctrine, l’idée, le désir de recherches nouvelles pour arriver au but sont les conséquences de phénomènes constatés qui donnent naissance à des lois admises par tous et que l’expérience consacre.

 Constatations historiques

Qu’enseigne, depuis des siècles, l’expérience sociale dans tous les pays et, particulièrement, dans le monde moderne ?

  • 1° Que les individus, au sein de leur propre classe, s’unissent de plus en plus sur le plan solide de leurs intérêts ;
  • 2° Que les classes antagonistes cherchent par l’élimination de leurs propres contradictions à réaliser leur intérêt général ; les capitalistes par l’instauration du capitalisme d’État, dont le fascisme est l’expression la mieux caractérisée ; les travailleurs par l’expropriation capitaliste, la suppression du salariat, l’abolition de l’Etat et l’institution du Communisme Libertaire ;
  • 3° Que les travailleurs tentent, comme leurs adversaires - après eux, malheureusement - de réaliser l’union et la synthèse de toutes leurs forces, parce qu’ils ont compris, enfin, que les luttes décisives qui se déroulent exigent, à la fois : l’organisation méthodique, la coordination, l’action massive et ordonnée de ces forces ; parce qu’ils ont retenu la leçon des faits et des expériences, qui leur indique clairement que faction doit être préparée, directe. générale et simultanée ;
  • 4° Que l’ère des révolutions politiques est close ; que l’heure de la révolution sociale est, partout, arrivée ; qu’aucun parti ou gouvernement non spécifiquement de classe, prolétarien, ne peut par l’opposition des intérêts discordants de ses composants hétérogènes être une formation de combat révolutionnaire, une organisation de classe ; qu’un patron, se déclarerait-il révolutionnaire, communiste ou anarchiste - cela existe - s’il peut être d’accord avec son ouvrier idéologiquement, au siège du groupement n’a en fait, aucun intérêt de classe commun avec lui dès que tous les deux se retrouvent à l’usine, au chantier, à l’atelier., au bureau, etc. Dans la vie réelle ils sont et restent : l’un un patron, l’autre un ouvrier avec tous les antagonismes que ces situations comportent
  • 5° Que le seul groupement réellement de classe, capable à la fois, par son nombre, sa puissance, les moyens qu’il détient - et peut, seul, faire mouvoir - de détruire le capitalisme et de réaliser le communisme libertaire est le Syndicat. C’est lui qui groupe déjà organiquement les forces manuelles, techniques et scientifiques - qu’il recèlera davantage encore demain - qui assurent en tout temps la continuité de la vie sociale. Le Syndicat est également le groupement type, la forme d’association libre et concrète qui peut fournir à la société communiste libertaire les bases économiques solides, indispensables à l’ordre nouveau qui surgira de la révolution.

L’Anarchisme révolutionnaire et l’Anarcho-Syndicalisme ont une même finalité. La Charte de l’AIT a dégagé de toutes ces considérations historiques une conception qui est commune à tous les anarcho-syndicalistes du monde. La CNT, en accord avec la FAI, en tente en ce moment même la réalisation. Cette conception n’implique nullement que l’anarcho-syndicalisme - antiétatiste et fédéraliste, ne l’oublions pas - entend et prétend être tout et que rien d’autre ne doit exister à côté de lui. L’anarcho-syndicalisme estime, au contraire, que les hommes, s’ils ne peuvent se passer de produire pour vivre, ne doivent pas avoir pour unique but de produire. Il admet très sincèrement et il n’hésite pas à le proclamer que l’homme a et doit avoir d’autres aspirations - et les plus hautes - vers le bien, le beau, le mieux, et cela, dans tous les domaines où il a accès avec ses facultés ; que des organismes administratifs et sociaux adéquats à toutes nécessités d’une vie pleine, entière et totale, fonctionnant avec le concours éclairé et sous le contrôle vigilant, constant et permanent de tous. Il admet indubitablement que les individus ont le droit - mieux, le devoir - de s’administrer eux-mêmes. Il les y invite formellement d’ores et déjà. De même, ils souhaitent ardemment que les communes se fédèrent régionalement, se confédèrent nationalement et que les confédérations s’associent internationalement comme les syndicats et leurs C.G.T. Il est même convaincu que c’est indispensable et il est prêt à unir ses efforts et ceux de ses syndicats aux efforts des individus en tant que tels, des communes fédérées, confédérées et associées pour réaliser le véritable communisme libertaire qui ne peut être que l’Å“uvre de l’anarchisme. Je l’ai d’ailleurs expressément déclaré dans ses livres Les Syndicats ouvriers et la révolution sociale et le Monde nouveau. L’accord sur la finalité du communisme libertaire, entre les anarcho-syndicalistes et les anarcho-communistes est forcement complet, permanent et absolu. Il est donc clair et évident que la place des travailleurs, des exploités de toutes sortes, dont l’anarcho-communisme est l’idéal, ne peut être que dans les syndicats anarcho-syndicalistes et non ailleurs. Leur doctrine leur en fait un devoir impérieux, précis et inéluctable. C’est d’ailleurs le meilleur moyen pratique de réaliser concrètement l’unité d’action si nécessaire au mouvement anarchiste révolutionnaire moderne. Ce n’est que dans l’action et par l’action que les anarchistes retrouveront leur véritable unité de pensée ; que le mouvement anarcho-syndicaliste désaxé depuis trente ans retrouvera aussi son équilibre et sa force ; que tous les anarchistes, enfin, pourront considérer la révolution sociale comme une éventualité prochaine et une réalisation possible ;

 Le rôle des Groupes Anarchistes et des Syndicats.

Ce qui précède nous conduit normalement et logiquement à envisager le rôle des groupes anarchistes et des syndicats. Les anarcho-syndicalistes admettent que parfaitement les groupes anarcho-communistes, plus mobiles que les organisations syndicales, prospectent les masses travailleuses ; qu’ils recherchent ses adhérents et forment des militants ; qu’ils fassent une propagande active et oeuvre intense de défrichement, dans le but d’amener à eux, et conséquemment, aux syndicats anarcho-syndicalistes, à la cause de la révolution sociale, le plus grand nombre possible de travailleurs trompés et dupés, jusque’ là, par tous les partis politiques, sans exception. Cette tâche purement idéologique. cette besogne de propagande d’ordre moral sont, incontestablement, du ressort des groupes anarcho-communistes, à la condition expresse qu’elles s’identifient avec le travail des syndicats anarcho-syndicalistes, qu’elles le complètent et le renforcent, pour le plus grand bien du communisme libertaire. Mais je déclare carrément que la responsabilité de la décision, de l’action et le contrôle de celles-ci doivent appartenir actuellement aux syndicats, agents d’exécution et de réalisation des tâches révolutionnaires. J’estime également que c’est à ces syndicats qu’il incombe de présenter toutes ces tâches, sur le plan économique, défensif et offensif. Enfin, je considère que le système économique, administratif et social doit être homogène, harmonique, et que la base de ce système, pour être réelle, solide et durable, ne peut être qu’économique. Je revendique comme un droit pour les syndicats l’accomplissement des tâches économiques révolutionnaires et post-révolutionnaires parce que l’organisation de la production est la véritable fonction des travailleurs. Par contre, il est logique que les communes. organes administratifs, leurs services techniques et sociaux aient le soin de distribuer la production ; d’interpréter les désirs des hommes sur le plan social, d’organiser la vie dans toutes ses manifestations. Dès maintenant, les groupes anarchistes ont pour devoir de préparer ces réalisations révolutionnaires. La besogne de chacun des organismes est donc extrêmement nette, parfaitement délimitée. Elle suffira largement à accepter sur chaque plan l`activité et les efforts de tous, selon les attributions réelles de chacun. À aucun moment, j’en donne l’assurance la plus formelle, les syndicats anarcho-syndicalistes ne pourront constituer un obstacle à la marche en avant du communisme révolutionnaire. À aucun moment, non plus, ils ne pourront devenir réformistes, parce qu’ils sont et resteront révolutionnaires, fédéralistes et antiétatistes, parce qu’ils visent, en un mot, comme les groupes anarcho-communistes, à instaurer le communisme libertaire. En conclusion de cette partie de mon exposé, j’affirme :

  • 1 ° Que le mouvement anarcho-syndicaliste ne peut dévier, en raison du contrôle permanent et sévère qui s’exerce sué les organisations et les militants ;
  • 2° Que le mouvement anarcho-syndicaliste, épuise, sur le plan actuel, dans le domaine révolutionnaire, les moyens de réalisation du communisme libertaire. Qu’il appartient aux groupes anarcho-communistes, sur le plan exclusivement idéologique, de porter la propagande aussi loin que possible ;
  • 3° Que le mouvement anarcho-communiste doit s’intéresser surtout aux tâches de propagande et d’éducation ; d’étude et de vulgarisation sociale ;
  • 4° Que le meilleur contact permanent qui puisse être réalisée sera, comme en Espagne. par l’adhésion sans restriction de tous les anarcho-communistes, dans tous les pays, aux syndicats anarcho-syndicalistes, chargés de la préparation et de l’exécution de l’action, seuls capables de mener celle-ci à bonne fin, avec des effectifs et des moyens suffisants ; que la doctrine expérimentale de l’anarcho-syndicalisme. qui est celle de l’anarchisme lui-même, est assez solide et ferme pour ne pas risquer aucune atteinte, atténuation ou déviation.
  • 5° Que l’anarcho-communisme, véritable figure du socialisme, est né de la carence totale de tous les partis politiques ; que l’anarcho-syndicalisme, forme moderne et active de ce mouvement, issu lui-même de l’anarchisme, remplit présentement toutes les tâches positives de l’anarcho-communisme et prépare les voies du communisme libertaire dont il sera le principal agent de réalisation ; que les tâches de l’anarcho-communisme - comme celles de l’anarcho-syndicalisme - s’épuiseront dans la période post-révolutionnaire quand les hommes. par leur évolution et le développement de leurs facultés de compréhension, seront capables d’accéder au communisme libre, finalité de l’anarchie. En résumé, l’anarcho-syndicalisme est la force nécessaire de lutte, dans le régime actuel, de l’agent de réalisation économique du communisme libertaire. dans la période post-révolutionnaire. L’anarchisme aide le mouvement anarcho-syndicaliste, sans se substituer à lui. L’activité de ses militants se confond, dans les syndicats, avec celle des militants anarcho-syndicalistes. Les deux mouvements se doivent donc une aide mutuelle et permanente. Et, plus tard, dans la paix, la concorde et l’harmonie, l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme. confondus dans un même mouvement, poursuivront la réalisation du communisme libre, but suprême de l’anarchie. La tâche la plus urgente de l’anarcho-syndicalisme est aujourd’hui d’organiser dans son sein les travailleurs en vue de la lutte décisive contre le capitalisme ; de préparer techniquement cette lutte, d’opérer la synthèse des forces de la production pour la construction révolutionnaire de l’ordre communiste libertaire ; et, demain, de l’organisation économique, et cela, jusqu’à l’instauration du communisme libre ; de défendre, enfin la révolution. Celle de l’anarchisme révolutionnaire consiste à aider de toutes ses forces à leur accomplissement par tous les moyens dont il dispose.

 Rapports de l’anarchisme et de l’Anarcho-Syndicalisme

De toute évidence, des rapports doivent exister entre l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme, tant sur le plan national qu’international. L’A.I.T. a, d’ailleurs, prévu cette éventualité dès son Congrès constitutif. Ces rapports doivent être basés sur l’indépendance et l’autonomie réciproque des deux mouvements et demeurer sur le plan de la plus parfaite égalité. En dehors de la copénétration des deux mouvements, par l’action de leurs militants, il est souhaitable que dans chaque localité, chaque région, chaque pays, des contacts s’établissent entre les organisations anarchistes et anarcho-syndicalistes. Pour être féconds et durables, ces rapports devront reposer sur les bases d’une tolérance mutuelle, facilité par une identité de doctrine sur tous les plans, et une compréhension exacte des tâches qui incombent aux deux mouvements. Ces tâches sont suffisamment définies par le présent rapport pour ne pas prêter à confusion et à chevauchement.

  • 1° L’unité de doctrine des anarchistes dans chaque pays ;
  • 2° L’unification, également dans chaque pays, des groupements anarchistes, sur le plan de la doctrine unique de l’anarchisme révolutionnaire.

 Conclusions générales

Quels que soient les désirs du Congrès et ceux de l’A.I.T. de réaliser pratiquement ces rapports, ils ne pourront y parvenir, comme l’exigent les événements, si ces ceux conditions n’étaient pas remplies préalablement par les mouvements anarchistes dans chaque pays. Il eût été infiniment préférable et aussi conforme à nos principes connus qui sont ceux du fédéralisme, que cette unité de doctrine et cette unification de forces anarchistes fussent réalisées avant la tenue du Congrès qui doit donner naissance à l’Internationale Anarchiste. Au nom des anarcho-syndicalistes qui ont atteint ce double but par la constitution de l’actuelle AIT depuis 1922, je demande instamment à tous nos camarades anarchistes révolutionnaires de nous suivre dans cette voie. S’ils acceptent tous, l’Internationale qui sortira de ce Congrès méritera le titre qu’ils lui donneront certainement et qui ne peut être que : L’Internationale Anarchiste Révolutionnaire - et j’y insiste - ils atteindront ce but sans difficulté. Il suffit, mais il faut. qu’ils acceptent tous de rompre définitivement avec les forces prétendues démocratiques tant politiques que syndicales ; qu’ils affirment que l’anarchisme révolutionnaire. par ses buts, ses moyens d’action, sa doctrine, n’a rien et ne peut rien avoir de commun avec ces forces dites " démocratiques " qui sont. dans tous les pays, les meilleurs serviteurs du capitalisme. Si, poussant ce geste jusqu’à sa limite, le mouvement anarchiste révolutionnaire rompt également avec toutes les dissidences des partis politiques autoritaires qui, comme leurs partis originels, n’ont qu’un désir : prendre ou reprendre le pouvoir, le mouvement anarchiste révolutionnaire et le mouvement anarcho-syndicaliste pourront marcher sans crainte et de pair vers leur but commun : la transformation sociale révolutionnaire par l’établissement du communisme libertaire, étape nécessaire du communisme libre.

Secrétaire général de l’AIT Pierre BESNARD


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